Mutilations génitales féminines au Sénégal : une lutte multi-acteurs pour un changement durable
Dakar – Awa a connu l’excision à l’âge de 9 ans et ce jour ne l’a jamais quittée. « Elles m’ont coupée au couteau, sans anesthésie. Avec juste un morceau de tissu dans la bouche pour étouffer mes cris », se souvient-elle.
Aujourd’hui âgée de 25 ans et résidant à Kolda dans le sud du Sénégal, Awa est devenue une activiste contre l’excision et les mutilations génitales féminines (MGF) en général. Les MGF sont toutes interventions incluant l‘ablation partielle ou totale des organes génitaux externes de la femme ou toute autre lésion des organes génitaux féminins qui sont pratiquées pour des raisons non médicales.
Au Sénégal, près de deux millions de filles et de femmes ont subi des MGF selon l’enquête démographique de santé (EDS) 2019, la dernière publication en date. Ces pratiques sont réalisées en majorité sur des filles de moins de 5 ans et rarement après 10 ans. Le Sénégal fait partie des 26 pays concernés par cet usage dans la Région africaine.
Conscient de la menace, le pays renforce ses dispositifs. En 2022, le gouvernement a adopté la première stratégie nationale pour l’abandon des MGF au Sénégal pour la période 2022-2030, en complément au code pénal qui, depuis 1999, réprime les MGF.
La prise en charge des MGF est aussi une préoccupation pour la société civile sénégalaise. C’est le cas du Centre Conseil Adolescent (CCA), un service de promotion et de gestion des questions liées à la santé de la reproduction, aux violences basées sur le genre (VBG) et aux mutilations génitales féminines chez les adolescents, mis en place par l’état sénégalais à Kolda au cours de l’année 2000.
Le centre accorde une importance particulière à l’accompagnement psychologique des victimes ou des personnes qui présentent des séquelles liées à l’excision. Au cours de l’année 2023, 96 cas ont été reçus au CCA, allant de cas de grossesses de mineures, de violences basées sur le genre, et de séquelles liées aux mutilations génitales féminines aux cas de viol et de maltraitance. 80% des cas ont été pris en charge par la justice et les 20% restants ont été suivis par un psychologue conseil.
« Les mutilations génitales féminines ont d’importantes conséquences sur la santé physique et psychologique des victimes tout au long de leurs vies. Certaines victimes en meurent à la suite d’une hémorragie, d’une infection ou même d’une détresse psychologique », explique Babacar Sy, le coordonnateur du Centre Conseil Adolescent (CCA) à Kolda.
« Les MGF créent un traumatisme chez les victimes, qui en gardent un amer souvenir », ajoute M. Sy, qui révèle que des activités de dialogue communautaire, intergénérationnel et basées sur l’utilisation de l’argumentaire religieux et médical sont organisées par son centre afin d’inciter à l’abandon de cette pratique.
Awa, la jeune activiste, fait partie des principaux animateurs du club de jeunes filles mis en place par le CCA. « Une de mes plus grandes fiertés est d’avoir pu faire changer d’avis ma grand-mère, celle qui nous a excisé ma sœur et moi. Aujourd’hui elle a déclaré officiellement son abandon des mutilations génitales féminines », confie-t-elle.
A travers des activités et campagnes sur les questions des mutilations génitales féminines, le CCA a amené plus de 3000 jeunes filles à s’engager à ne pas perpétuer les MGF.
« Le Sénégal fait de la lutte contre les MGF une priorité et ceci se traduit dans toutes nos actions en vue de faire abandonner cet acte qui a fait trop de victimes innocentes dans notre pays », a indiqué Dr Ndoye Mamadou, Coordonnateur du programme de lutte contre les MGF au Ministère de la femme, de la famille et de la protection des enfants.
Dans son rôle de protection de la santé des populations, l’OMS accompagne le Sénégal, ainsi que les autres pays à risque de la Région africaine dans cette lutte. L’Organisation appuie dans l’élaboration des politiques et stratégies et produit des évidences sur les conséquences de ce fléau pour susciter l’engagement des pays à lutter contre les MGF. Elle met à disposition des lignes directrices, des outils de plaidoyer et des manuels de formation afin d’informer les personnels de santé sur la pratique et de renforcer leurs capacités dans sa prise en charge.
« Tout professionnel de la santé au Sénégal a de fortes chances de se retrouver confronté à une complication liée aux MGF au moins une fois dans sa carrière. C’est pourquoi, Il est important qu’en plus des activités d’information et de communication, la formation du personnel de santé pour une bonne prise en charge des victimes soit assurée », a déclaré Dr Jean Marie Vianny Yaméogo, représentant résident de l’OMS au Sénégal. « Une prise en charge adéquate des MGF est fondamentale pour le bien-être physique, psychologique et social des victimes. » ajoute-t-il.
Tous les acteurs impliqués dans la lutte contre les mutilations génitales féminines consentent de nombreux efforts pour mettre fin à cette pratique dans le pays. Cependant, la vigilance reste de mise car les tendances actuelles alertent sur le fait que le pays pourrait ne pas atteindre l’objectif de développement durable relatif à l’éradication des MGF d’ici à 2030.
D’où la nécessité de soutenir les initiatives existantes et de continuer à susciter des vocations dans ce domaine, notamment parmi les jeunes filles. « Nous filles, nous sommes les mères de demain. Il est donc important de nous engager à informer nos communautés sur les dangers de cette pratique », souligne Awa.
Chargée de Communication
OMS Sénégal
Email : sallai [at] who.int (sallai[at]who[dot]int)
Chargée de communication en appui aux pays francophones
Bureau régional Afrique de l’OMS
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